Daredevil : Sous l’aile du Diable par Kevin Smith, Joe Quesada et David Mack
1ere publication le 11/02/15- Mise à jour le 15/01/22
Vo : Marvel
Vf : Panini
Un article de : TORNADO
Ce recueil regroupe les épisodes #0 à 15 de la série Daredevil Marvel Knights, réalisés entre 1998 et 2001.
La première saga (« Sous l’aile du diable » : #1 à 8) est l’œuvre du scénariste Kevin Smith et du dessinateur Joe Quesada. La seconde (« Tranches de vide » : #9 à 15) est écrite par David Mack et toujours mise en image par Quesada.
– Episodes 1 à 8 : Guardian Devil (scénario de Kevin Smith et dessin de Joe Quesada)
Alors que Karen Page, le grand amour de Matt Murdock, vient de le quitter, une jeune fille en détresse lui confie un petit bébé qu’elle aurait conçu en restant vierge, avant qu’un homme prétendant être un envoyé de Dieu ne lui révèle que l’enfant est l’antéchrist réincarné ! Notre héros ne va pas tarder à voir sa vie basculer sur tous les fronts, attestant d’une malédiction bien réelle…
Est-ce vraiment la fin du monde ? Daredevil a-t-il été choisi pour un plan d’origine démoniaque ? Et surtout, comme elle le prétend, la jeune fille a-t-elle réellement découvert la double identité du justicier en rencontrant un ange ?
Si vous aimez le Daredevil de Frank Miller, et en particulier Born Again, alors vous ne devez pas rater cet album. Car le réalisateur Kevin Smith a conçu son récit comme un hommage. Toutefois, le bonhomme a su injecter dans son écriture un style propre, équilibré, à la fois adulte et respectueux de la mythologie consacrée en termes de connotation.
C’est ainsi que cet arc narratif se situe à la fois dans la lignée de Miller (le scénariste suivant, David Mack, ne s’y trompera pas, incluant un tag sur les murs de Hell’s Kitchen avec ces mots : Frank was here, Kevin was here, David is here !!!), et à la fois dans la rupture (point d’Elektra ni de trucs japonisants). Et au final, le passage de Kevin Smith sur la série restera finalement comme un des préférés des fans après celui du créateur de Sin City…
C’est que Smith a su trouver la couleur de la saga, dans une alchimie parfaite entre le côté adulte des comics d’aujourd’hui et la source enfantine de jadis. Oui, c’est vraiment ce que j’ai adoré le plus dans ces épisodes : l’équilibre entre le traitement mature et les souvenirs de notre passé. Je suis donc retombé en enfance, retrouvant le plaisir innocent de mes lectures de jadis, sans pour autant que le livre me tombe des mains à cause de sa forme décalée. Et ça, c’est ce que j’appelle de la relecture brillante. A ranger à côté des œuvres de Jeff Loeb & Tim Sale, même s’il ne s’agit pas exactement du même concept, car il y a le même équilibre entre naïveté enfantine et mise en forme moderne et adulte.
La valeur de ces huit épisodes tient essentiellement au niveau du travail dans le rapport entre le Fond et la Forme, aussi bien dans le domaine narratif que pictural. Smith nous livre un scénario d’une sophistication telle qu’il est rare d’en voir dans le domaine des comics mainstream, alors qu’il en était à son premier essai en termes d’écriture scénaristique au sein de ce médium !
Dans la Forme, il construit un récit maitrisé de bout en bout au suspense haletant et au rythme implacable, le tout noyé sous une avalanche de texte et de dialogues brillants, qui malgré leur densité passent comme une lettre à la poste. Et même si le dénouement retombe un peu dans une trame plus classique, l’ensemble exhale un très fort parfum de renouveau. Dans le Fond, il intègre dans le récit ses thématiques obsessionnelles, que l’on peut retrouver dans ses films (Dogma par exemple), notamment la question de la religion et de la Foi. Alors qu’il aurait pu plomber son scénario avec un tel parti-pris, il parvient au contraire, tout en finesse, à intégrer cette dimension à la mythologie du personnage de Daredevil de manière parfaite.
Au jeu des références, Kevin Smith et son dessinateur, qui n’est autre que Joe Quesada, le rédacteur en chef de la Marvel à cette époque et l’initiateur du label Marvel Knight, parsèment leur intrigue de citations diverses et d’hommages en tout genre.
Il y a d’abord les clins d’œil aux anciennes sagas (Born Again, Typhoid Mary), et il y a ensuite les visuels référencés (merci à Présence pour me les avoir soufflés indirectement !), avec le personnage de Nicholas Macabes qui ressemble au Commissaire Dolan de la série Spirit de Will Eisner, avec les clients du bar fréquenté par Turk où l’on reconnait Jesse Custer de la série Preacher, et Nancy Callahan et Marv de la série Sin City. Et il y en beaucoup encore !
Ensuite, il incorpore certaines composantes du monde du cinéma, notamment à travers le métier des trucages et des effets spéciaux, avec toute la dimension féérique qui, très probablement, à inspiré les tout premiers créateurs de comics.
Mais surtout, comme dit plus haut, c’est dans la manière dont il cite les références issues du run de Frank Miller (et dans une moindre mesure de celui d’Ann Nocenti) qu’il parvient à donner de l’épaisseur à son récit, qui culmine à un niveau de densité vraiment optimal. Ce faisant, il parvient à imprégner la série d’une marque indélébile. Après son passage, plus rien ne sera jamais pareil…
Côté graphique, le niveau de sophistication est au diapason. Joe Quesada (qui livrera quelques temps plus tard le superbe Daredevil : Father) nous offre un découpage et une mise en scène vraiment impressionnants. Sa virtuosité s’impose à tous les niveaux : Décors, richesse des détails, points de vue, mouvement des corps, expressions, tout est travaillé à l’extrême.
Son style peut parfois flirter avec le manga, mais il préserve l’atmosphère voulue. Le découpage de chaque planche, conçu comme un tableau à plusieurs facettes, est une merveille de variété et d’inventivité, contrebalançant parfaitement le haut niveau de texte fourni par le scénariste. Il agrémente ses compositions d’un tas d’ornements (cadres, volutes, enluminures, mosaïques) aussi décoratifs que riches de sens, qui viennent étoffer le fil narratif. Par ailleurs, son travail est parfaitement complété par l’encrage de Jimmy Palmiotti et la mise en couleur de toute une armée de collaborateurs. Pour ma part, je ne me souviens pas d’avoir contemplé beaucoup de comics d’un tel niveau, où la sophistication de la mise en forme côtoie la densité de la toile de fond. Certainement l’un des grands moments de l’histoire de la Marvel.
Il faut préciser, cependant, que la densité scénaristique, avec toutes les références puisées ça et là dans les anciennes aventures de Daredevil, destine essentiellement ces épisodes au lecteur déjà bien familier du personnage et de son histoire éditoriale.
Néanmoins, Kevin Smith a réalisé un épisode nommé « numéro 1/2 » (ici présent) sous forme de texte illustré, qui vient justement récapituler toute cette histoire… A noter que le scénariste flirte beaucoup avec l’univers de Spiderman, qu’il visitera quelques temps plus tard par le biais de la (superbe) mini-série Spiderman : L’enfer de la violence…
– Episodes 9 à 15 : Parts of a Hole (scénario David Mack et dessin de Joe Quesada)
Ces épisodes marquent l’entrée en scène de Maya Lopez, plus connue sous l’alias d' »Echo » (par la suite, elle fera partie des New Avengers). C’est une jeune femme sourde qui possède le don de reproduire tout ce qu’elle observe, y compris les prouesses physiques les plus extrêmes (une parfaite « copycat » !).
Au départ, elle est la pupille de Wilson Fisk, et ce depuis la mort de son père, ancien bras droit du Caïd. Ce dernier, prenant conscience du potentiel exceptionnel de sa protégée, décide de l’envoyer combattre Daredevil en lui laissant croire qu’il est l’assassin de son père…
La principale surprise concernant cette saga, ce n’est pas l’histoire qu’elle raconte, finalement assez convenue, mais la mise en forme très particulière du récit. Et pour les lecteurs familiers de David Mack, cette surprise est renforcée par le fait que le créateur de Kabuki semble mettre lui même son histoire en image, alors que c’est Joe Quesada aux crayons !
La mise en page extrêmement sophistiquée du scénariste est ainsi exactement la même que lorsqu’il réalise lui-même les illustrations (ce qui laisse à penser qu’il a dû story-boarder une partie de son scénario avant de livrer le tout à Quesada), impliquant diverses techniques alliant le dessin, la peinture, la photographie et l’infographie. On retrouve ces compositions conceptuelles où le texte s’imbrique dans les contours du dessin, où le changement de technique renforce le sens du fil narratif, où poésie et dichotomie visuelle finissent par transcender le récit, qui prend des airs lyriques d’opéra chamarré, alors qu’évidemment toute lecture demeure silencieuse, comme le monde qui entoure Maya Lopez…
A l’arrivée, voilà une œuvre dans laquelle le travail de mise en forme prime par dessus tout, où l’émotion explose dans une alchimie propre à l’art séquentiel, réussissant à transcender une histoire plutôt délirante qui, racontée différemment, aurait pu se révéler parfaitement classique et naïve. Parallèlement, les quelques scènes d’actions sont époustouflantes !
Enfin, il s’agit d’une histoire relativement marquante de la mythologie interne de la série, en particulier en ce qui concerne le personnage du « Caïd », puisque c’est ici qu’il perd la vue.
Plus tard, David Mack reviendra tout seul sur la série avec un arc entièrement dévolu à sa création : Daredevil : Echo.
L’épisode #12 a été placé tout à la fin (n’importe quoi !), probablement parce qu’il est écrit par Joe Quesada & Jimmy Palmiotti et dessiné par Rob Haynes. Il s’agissait à l’époque d’un épisode « bouche-trou » pour combler l’attente des lecteurs entre deux épisodes. Sans apporter grand chose à la trame principale du récit, c’est quand même un petit « extra » très bien écrit et fort sympathique.
Saluons pour terminer l’initiative de Quesada en ce qui concerne le label Marvel Knight (dans le même temps, Garth Ennis revisitait le personnage du Punisher avec la saga Welcome Back Frank !). C’était l’époque où Marvel publiait de magnifiques séries adultes et intelligentes, autonomes et artistiquement intègres. Par la suite, Quesada lui-même brisera son règne en introduisant les events et en faisant retomber le tout dans l’infantilisme vulgaire…
Ouah! Ce récit, la claque concernant Daredevil.
Je l’ai connu avec les vintages Strange, alors bizarrement, ados, j’avais beaucoup de mal à accrocher au personnage.
Un peu trop classieux et sérieux à mon goût, du moins de ce que j’en ai lu.
Mais j’en connaissais tout de même assez sur lui.
J’ai lu ce comics qui était le seul proposé au CDI de mon lycée.
Le personnage est malmené et pourtant il reste fidèle à ses principes malgré tout.
L’intrigue final et le pourquoi m’ont scotché, surtout qu’elles ont un lien avec Spidey qui était mon perso préféré (jusqu’à Baman).
J’aime beaucoup les dessins, la coloration et comme tu dis le côté enfantin apporté est très appréciable.
C’est même le style de dessin que je préfère dans les comics.
Du coup, je ne savais pas qu’il y avait un autre récit dans cet album que je vais tenter de lire prochainement.
Merci 😀
Rhoo comme tu m’as donné envie de relire tout cela.
Un run qui vieilli bien. Quesada avait apporté une dose de modernité à al représentation graphique de DD. Je ne suis pas un aficionado du dessinateur mais son apport, son enthousiasme, le dynamisme apporté aux planches étaient les bienvenus.
Préférence pour la seconde partie avec Echo. A la fois car personnage fascinant, pour le coup du sort qui frappe le Kingpin et puis des mises en page de virtuoses où l’alchimie entre Mack et Quesada fonctionne à merveille, sous la baguette du chef d’orchestre Smith.
Même si la première partie ne m’intéresse a priori toujours pas (j’ai vu mon vieux commentaire), je me suis enfin lu les Parts of a Hole en édition Must Have, et je dois dire que je suis d’accord : l’histoire est convenue et un peu étrange avec ses deux paires de jumeaux, c’est surtout les dessins, la narration visuelle et tout ce qui tourne autour qui vaut largement le coup. D’ailleurs par moments, j’ai un peu pensé à ELEKTRA ASSASSIN.
Or c’est normal car Mack dit que c’est le seul DD qu’il connaissait à l’époque, celui de Miller et celui de Miller avec Sienkiewicz. Tu dis que « ce qui laisse à penser qu’il a dû story-boarder une partie de son scénario avant de livrer le tout à Quesada » : dans les éditoriaux, Mack confirme ce fait.
En tout cas c’est une chouette lecture, je suis bien content d’avoir un aperçu de cette aventure éditoriale que fut les Marvel Knights.