Elektra assassin par Frank Miller & Bill Sienkiewicz
Un article de : PRESENCE
VO : Marvel
VF : Edtions Usa, Delcourt, Panini
Première publication le 13 .02.15 /Mise à jour le 05/11/24
Ce tome regroupe les 8 épisodes de la minisérie initialement parue en 1986/1987. Delcourt, les Editions USA et Panini ont publié cela en VF.
Quelque part dans un asile de San Conception, un pays d’Amérique du Sud, une jeune femme subit l’incarcération primitive réservée aux malades mentaux tout en examinant ses bulles de souvenirs.
Elle se souvient quand elle était le ventre de sa mère, de la mort de sa mère, de sa tentative de suicide, de ses années de formation d’arts martiaux avec un sensei, puis avec des ninjas mythiques (Star, Shaft, Flame, Claw, Wing, Stone et Stick), etc.
Petit à petit elle se rappelle l’enchaînement des événements qui l’a conduite à cette situation. Elle doit maintenant s’évader et empêcher la Bête de déclencher une apocalypse nucléaire. Elle doit également échapper aux équipes du SHIELD (une organisation étatsunienne de contrespionnage aux gadgets haute technologie). Pour ça elle va manipuler sans vergogne John Garrett, un agent très spécial, même parmi ceux du SHIELD.
L’introduction apprend au lecteur que ce projet était un souhait de Frank Miller qui a eu la latitude d’être publié par Epic Comics (la branche adulte de Marvel à l’époque) et que dès le départ il avait souhaité que l’histoire soit illustrée par Bill Sienkiewicz.
Pour les puristes, le récit se situe avant qu’Elektra ne réapparaisse aux cotés de Matt Murdock dans la série Daredevil. En cours de lecture, il apparaît que le rôle à venir d’Elektra dans l’univers partagé Marvel n’a aucune espèce d’importance et Elektra : assassin peut être lu, doit être lu indépendamment de la continuité.
Frank Miller n’y va pas avec le dos de la cuillère (c’est d’ailleurs un peu son habitude) : Elektra est une ninja qui maîtrise plusieurs techniques surnaturelles dérivées de sa formation avec les 7 maîtres ninjas. Elle est capable de télépathie rudimentaire, de manipulation mentale complexe, de prouesses physiques dépassant les possibilités naturelles du corps humain.
Cet aspect superhéros peut devenir un trop exagéré dans certaines scènes (2 combats d’affilé sous l’eau, sans respirer). Miller s’en sert également à plusieurs reprises comme d’un deus ex machina permettant de trouver une porte de sortie artificielle d’une situation désespérée. Le récit n’est donc pas à prendre au premier degré, et s’il possède sa logique interne, Miller tourne en dérision plusieurs péripéties.
Comme à son habitude, il charge également la barque sur la représentation des politiques : tous pourris, menteurs, névrosés, hypocrites, à moitié fou (le président en exercice remportant la palme haut la main). Malgré tout, au premier degré, l’aventure tient la route et entretient un suspense soutenu, dans un pastiche mêlant ninja, complot et contrespionnage, avec une franche violence.
Ce ton narratif décalé et ironique doit beaucoup aux illustrations de Bill Sienkiewicz, avec qui Miller avait déjà collaboré pour une Graphic Novel de Daredevil Guerre et amour en 1986. Sienkiewicz prend grand plaisir à interpréter à sa sauce chaque scène, chaque case, avec le style graphique qu’il juge le plus approprié au propos. La première page commence avec une illustration pleine page à la peinture d’une plage paradisiaque avec la mer, le ciel et des cocotiers dont le feuillage est d’un vert saturé.
Page suivante, Elektra évoque ses souvenirs et le rendu devient un dessin d’enfant aux crayons de couleur. 3 pages plus loin 3 illustrations mélangent peinture et collage. 1 page plus loin, Sienkiewicz a recours à des formes simples au contour presque abstrait avec des couleurs plates et uniformes. La page d’après il semble avoir découpé des forme dans une feuille de papier blanc, qu’il a collé sur une feuille orange dans une variation de tangram.
Quelques pages plus loin, une pleine page à l’aquarelle représente les femmes internées dans des conditions concentrationnaires. Contrairement à ce que le lecteur pourrait craindre, le résultat ne ressemble pas à un patchwork indigeste, ou à un collage psychédélique pénible. Le saut d’une technique à l’autre est plus intense dans le premier épisode que dans les suivants parce que l’histoire est racontée du point de vue d’Elektra dont le fonctionnement intellectuel est perturbé par la rémanence d’un puissant psychotrope dans son sang.
Il faut dire également que Frank Miller accompagne parfaitement chaque changement de style en établissant un fil conducteur d’une solidité à toute épreuve. Avec cette histoire, il a parfait ses techniques de narration. Il écrit les flux de pensées des personnages en courtes phrases parfois interrompues quand une idée en supplante une autre, parfois avec des associations de mots sans former de phrase. Ces pensées sont écrites dans de petites cellules dont la couleur du fond change avec le personnage. John Garrett dispose de cellules de pensée, à fond bleu, Elektra à fond blanc, Sandy à fond rose, etc. Frank Miller adopte également un style rédactionnel différent pour chaque personnage, le pompon revenant à Sandy avec ses cellules à fonds rose et ses phrases à la guimauve fleurant bon les romans de gare à l’eau de rose.
Ainsi Miller assure la continuité narrative et justifie chaque changement de style. Mary Jo Duffy indique dans l’introduction américaine que Miller rectifiait ses textes (et même son scénario) après avoir vu chaque planche pour s’adapter à la démesure graphique de Sienkiewicz.
Sienkiewicz ne se contente pas de changer de style pictural régulièrement, il interprète également la réalité. Le scénario de Miller ne fait pas dans la dentelle, il incorpore un niveau de violence très élevé avec des éléments surnaturels, Sienkiewicz relève le défi. Dans le deuxième épisode, Elektra se souvient des 6 instructions fondamentales de son sensei. Il est représenté uniquement sous la forme des yeux et des sourcils qui dépassent sous un calot blanc et un foulard qui lui mange le bas du visage. Ses consignes sont directement lettrées sur le calot et sur le foulard.
Épisode 3, Garrett est attaché à une machine technologique futuriste dont la forme est fortement inspirée par celle d’une machine à coudre du début du vingtième siècle. Dernière page de l’épisode 5, Elektra et Garrett sont sur un engin volant dérobé au SHIELD qui évoque fortement une locomotive à vapeur.
Ce qui achève de rendre cette lecture agréable est l’humour ironique, sarcastique, moqueur, vachard, tant dans les textes que dans les images. Il faut voir Elektra et Garrett assis sur un lit en forme de cœur et fourbir leurs armes amoureusement, Chastity (une agente du SHIELD) déguisée en nonne, Perry (l’ex coéquipier de Garrett), parler le plus naturellement du monde alors qu’il a un couteau fiché en plein du front, le caleçon logotisé SHIELD de Garrett, la forme des aides laborantins clonés, etc.
Avec cette histoire, Frank Miller a écrit un gros défouloir sadique à l’humour corrosif dont il a le secret. Sous les pinceaux de Sienkiewicz, ce récit potache est sublimé en un tour de force picturale hors norme. En écrivant les textes après avoir vu les pages dessinées, Miller eut la présence d’esprit et le talent de les revoir pour s’adapter à ce foisonnement d’idées, en renforçant le fil conducteur, et en recourant à des techniques narratives plus élaborées. Le tout est un produit de divertissement cynique, drôle et méchant, assez trash.
Après cette histoire, Frank Miller est revenu encore une fois à ce personnage dans Elektra : le retour (1990). Bill Sienkiewicz a écrit et illustré une histoire de grille-pains intitulée Stray Toasters (1990).
Voilà un bel exemple où la forme l’emportera, pour moi, sur le fond. Je veux dire par là que je vaus y apprécier non pas l’histoire, mais la façon dont elle sera racontée.
En lisant cet article je me suis aperçu que les textes de Présence étaient faits pour aller avec les illustrations ! Une sacrée plus-value.
Ça me rassure un peu que mon article soit soit fait pour aller avec les images du comics que je commente.
En lisant ton commentaire, j’ai pris conscience que Frank Miller a choisi la forme d’un thriller (éviter que la fonction de président des États-Unis soit compromise par des intérêts sataniques). Non seulement la forme narrative est exceptionnelle, mais en plus il s’agit d’un bon thriller, avec des éléments de film d’action, et d’enquête policière.
Comme tu me l’avais fait remarquer, la qualité de la narration s’enrichit du processus itératif adopté par Miller, à savoir retoucher son scénario et ses dialogues, en fonction de ce que Sienkiewicz a représenté.
Je suis à peu près sûr que c’est Sienkiewicz qui a rajouté les petits elfes bleus auprès des scientifiques du SHIELD, et que Miller a trouvé comment expliquer leur présence (des expérimentations génétiques), accentuant ainsi la dimension « science sans conscience » de cette division du SHIELD.
Bon ! Pas moyen d’être d’accord avec Tornado cette semaine ! Je HAIS cette histoire. Je l’ai lue et relue pour lui laisser une 2ème chance mais c’est à partir de là que Miller enfanta tout ce qui me repousse en BD : les délires hallucinogènes de Morrison, le hightech d’Ellis, des Ninjas, une narration sans queue ni tête et ce putain de John Garrett qui répète à chaque chapitre : « ben voilà, je suis président ».
Je ne nie pas l’aspect classique de l’ouvrage. Comme tu le mentionnes, voici du Marvel adulte en plein dans les années 80 et on ne remerciera assez jamais Miller pour ça. Mais ce récit ouvre la voie à ce que je n’aime pas chez lui : une vision caricaturale du monde, des créatures sans âme et brutale, le tous pourris, des délires psychotropes et des psychologies de personnages à la truelle comme dans Ronin, Hard Boiled etc.
Les illustrations sont OK pour moi qui adore Love and War. Mais ce truc, je ne peux pas. Je me rappelle l’avoir acheté à Arkham Comics lorsqu’ils étaient encore face au Panthéon. Le vendeur, Numa Roda Gil, m’avait confié avoir pleuré à la fin du récit tant il avait trouvé ça magnifique. Jamais compris pourquoi…..
Et, euh, je crois que tu m’avais expliqué la signification cde ton titre, mais je ne m’en rappelle plus….
Le titre – Le lait renvoie à celui de la Bête, le batteur à œufs désigne les hélicoptères pour John Garrett, et la mayonnaise correspond à l’odeur écœurante que dégage Ken Wind pour Elektra.
Pfiiooouu!
Une semaine de DD,les gars,sérieux!?
Heureusement Bruce m’a rappelé l’existence de Die Antwoord(Fatty Boom Boom,meilleur)
Ca y est je l’ai enfin lu, ce comic mythique qui me faisait envie depuis longtemps. Mais j’ai mis du temps, pour deux raisons : je l’ai lu en VO, et j’ai trouvé ça plus compliqué à lire que du Morrison en VO (enfin sur autre chose que FINAL CRISIS ou MULTIVERSITY parce que là même en VF j’ai du mal) car la narration est bien alambiquée. D’ailleurs j’ai trouvé ça plus compliqué que le LOVE AND WAR des mêmes auteurs. Il faut dire que la narration en flashbacks et les manipulations mentales n’aident pas à savoir où on se trouve.
De même, avant 2020, je n’aurai pas compris toutes les références politiques, de la DRAFT CARD à KENT STATE.
Graphiquement c’est hallucinant et magnifique. Il y a plein d’idées, mettre toujours les mêmes têtes sur les candidats aux présidentielles est excellente. Je retiens surtout que c’est un peu le Miller de Dark Knight qu’on retrouve ici, avec des histoires politiques un peu alambiquées et des cases comme des écrans de télé.
Par contre j’ai trouvé ça très drôle, le président avec sa boîte, les nains du SHIELD, les mécanismes et objets étranges et exagérés. J’ai souvent penser au Dave McKean de Arkham Asylum, ce dernier a dû être fortement influencé.
Au final une BD adulte hors norme et très monthy pythonienne, pas du tout du super héros, mais une grosse farce avec un esthétisme à tomber par terre. Maintenant je vais tout de même tâcher de la lire en VF.
Narration en flashbacks et les manipulations mentales : je me souviens de cette façon de raconter propice à des retournements de situations hallucinants.
Une grosse farce très drôle… et angoissante à la fois pour toute personne ayant craint une guerre nucléaire.
Autre truc : je ne trouve pas l’histoire exceptionnelle, c’es compliqué pour rien et surtout je n’ai pas tout compris à cette histoire de Bête et comment on tombe dessus (parce qu’au départ, c’est juste Elektra qui tue un président sud-américain puis se venge d’avoir été mise à l’asile par le commanditaire, un ambassadeur américain, donc bon, c’est plutôt du polar politique classique, mais par la suite ça part en gros n’importe quoi avec ces cyborgs du SHIELD), mais je remarque surtout que 1986 fut la meilleure année de Miller. Cette année-là, il aura écrit cet Elektra, écrit et dessiné The Dark Knight Returns et enfin écrit BORN AGAIN (que je vais bientôt lire pour la première fois en VF).
La bête : dans mon souvenir, la fibre surnaturelle est également présente avec l’enseignement des ninjas et leurs capacités extraordinaires, à moins que tout ça ne soit qu’une exagération du cerveau peu fiable d’Elektra.
En effet, le surnaturel est forcément présent je pense, ce n’est pas qu’une exagération. Mais on a toujours un doute. La pleine planche où elle apparaît fait fortement penser à du Moebius d’ailleurs. Ou du Giger…
https://dyn1.heritagestatic.com/lf?set=path%5B2%2F4%2F4%2F8%2F5%2F24485898%5D%2Csizedata%5B850x600%5D&call=url%5Bfile%3Aproduct.chain%5D
Merci pour le batteur à oeufs, je regarderai de nouveau quand ça parle de « copters ». Quant à la guerre nucléaire, elle était partout, y compris dans Watchment et dans le premier solo de Sting. C’était la vraie angoisse de l’époque, l’année de Tchernobyl.
… Moi, je l’ai vécu comme ça, cet album-là :
Fin d’été 1988, festival de BD (supermarché, quoi !) de Hyères. Je viens d’acheter l’album de Daredevil (Miller/Mazzucchelli – j’en connaissais les pages) et, ma maigre paie en poche (service militaire à peine entamé), je passe pour la troisième fois devant un étal exhibant le Elektra: Assassin de Frank Miller et Bill Sienkiewicz… Décidément, la couverture m’intrigue. Bien sûr la couleur ( rose pétant ! ), mais aussi le fait que je n’arrive pas à l’interpréter ! Et puis le vendeur m’interpelle, pour me dire que le recueil est réservé pour un client; mais que ce dernier n’étant toujours pas revenu…
C’est un des plus grands chocs graphiques de ma vie – et l’impact perdure aujourd’hui. Je n’ai jamais retrouvé pareille joie purement visuelle à parcourir un Comic, sinon à la lecture du Stray toasters, du seul Bill. J’ignorais alors qu’on pouvait à se point s’amuser à raconter une histoire; et surtout que, pour l’illustrer, on avait le droit de tout se permettre, si on parvenait à ne pas noyer le sens sous la forme donnée au récit par les images. Ce miracle-ci prouve qu’on peut même le magnifier en explosant ses codes et cadres, tout en jouant avec ses pinceaux/crayons/ciseaux/photos/photocopies Etc…!!
Il est manifeste que Miller, habituellement prisonnier de ses tics et obsessions plutôt ras des pâquerettes (c’est très subjectif), a vu sa prose transcendée par l’incessant va-et-vient des idées -et remaniements graphico-scénaristiques !- entre lui et son artiste ! Le placement des phylactères même participe au rythme du récit ; en guidant par exemple nos yeux, le long d’une splash-page à l’apparence de peinture mythologique tant elle est mise en scène : « No, Garreth. ». « You cannot die. ». « Not yet. ». « Breathe. ».
Aujourd’hui adoubé mais, à l’époque, encore en devenir, le Grand Bill s’offre un terrain de jeux et d’expérimentations picturales de presque 300 pages et les idées fusent tous azimuts, jusqu’à la fin (jouissive à tous les niveaux, aussi !).
Un festin créatif pour les deux associés, j’en suis persuadé; que je continue d’apprécier périodiquement, quand je suis en manque d’influences venues d’ailleurs : l’innovation amusante s’est faite rare, dans le genre.
Pour une narration graphique différente des comics traditionnels, je recommanderais bien Mind MGMT de Matt Kindt
Merci ! je va me renseigner…
Pour Mind MGMT, un article sur les deux premiers tomes est disponible sur le site, et Bruce a en stock les articles pour les tomes suivants.
brucetringale.com/sous-la-coupe-dun-manipulateur-de-cerveaux/
brucetringale.com/tu-ne-sais-pas-ce-quest-la-solitude-tant-que/
De beaux souvenirs.
Il m’a fallu de nombreuses relectures pour parvenir à saisir chaque passage, ce qui n’enlevait rien à mon plaisir découlant de l’humour cynique du scénario et des illustrations.
Pour ressentir un tel choc graphique, il m’a fallu attendre la montée en puissance de Dave McKean au travers de ses collaborations avec Neil Gaiman.
La précédente secousse graphique d’une telle ampleur s’était produite à la lecture du Moonshadow de Jon J. Muth et John-Marc DeMatteis.
Pour Mind MGMT, un article sur les deux premiers tomes est disponible sur le site, et Bruce a en stock les articles pour les tomes suivants.
brucetringale.com/sous-la-coupe-dun-manipulateur-de-cerveaux/
brucetringale.com/tu-ne-sais-pas-ce-quest-la-solitude-tant-que/
La fin des années 1980 fut riche en bouleversements graphiques : Dark Knight returns bien sûr, mais aussi Blood, de Kent Williams & JM DeMatteis, et tant d’autres.
brucetringale.com/dans-linconscient-collectif/
Elektra assassin est le premier comics Marvel que j’aie jamais lu. En 4 volumes en VF quand c’était paru chez Delcourt.
Je ne connaissais rien à l’univers Marvel, je ne savais même pas qui était Matt Murdock.
J’ai trouvé ça génial. Ca m’a complètement retourné.
Il y a de quoi être retourné ! 😀
Tiens, poussé par l’actu, je suis justement en train de le relire. Marrant de voir que des trucs se retrouveront dans Sin City (Hell and Back, titre du premier chapitre, Perry qui dégoise avec la tête transpercée comme les personnage dans Big Fat Kill) mais aussi de voit que Mille pousse toujours plus loin les jeux de point de vue de Year One et la narration en écrans de Dark Knight Returns, elle-même héritée de Chaykin, et que justement, il revient un peu plus à la source ici : ça fonctionne quasiment comme dans American Flagg!
Quant au président sénile, tout comme celui de DKR, c’était une parodie de Reagan, que Miller semblait considérer comme ce qu’on pouvait faire de pire dans le domaine, Nixon étant renvoyé au rang de gag. Bon, depuis on a eu Bush jr. et Trump, la caricature finit par tomber à plat, forcément.
Mêmes souvenirs que toi : le jeu des points de vue avec chacun sa forme de cartouche et sa couleur de cartouche, les écrans de télé dont j’ai découvert par la suite la source d’inspiration (Howard Chaykin).
Pour avoir lu ces épisodes au moment de leur parution, le contexte rendait évident que Miller brocarde Ronald Reagan. Je présume que les décennies passant c’est moins évident, et effectivement Donald J. Trump a tout emporté sur son passage, avec un comportement digne d’un personnage hystérique de dessin animé, alors que lui aussi dispose du bouton atomique !!! J’ai encore du mal à croire l’avoir vu à la télé recommander de boire de l’eau de Javel pour se guérir du Covid, authentique.
Hummm Elektra Assassin…
Un titre sur ma liste des trucs à relire un jour …
J’avais lu (ou essayer) à sa sortie.. et pas accroché.. Billou the Sink était dans sa pleine période de reconnaissances internationale, avec des peinture pour des magazines de Musique et le New-Yorker (il me semble). Graphiquement on est dans une explosion artistique et de concepts graphiques qui repoussent très loin ce qu’il faisait sur NM puis love and war.
Mais justement le récit est trop barré, et ca m’a toujours empêché d’entrer dedans.
L’idée de la mini st venue à Miller (et O’Neil son editor, Jo Duffy a été Editrice de Miller sur DD avant l’arrivée de O’Neil, puis elle est devenue l’adjointe de Archie Goodwin sur la ligne EPIC + le fait que Miller et Duffy se connaissent, et qu’elle soit la Managing Editor de EPIC fait que .. ) suite à la réalisation de Love And Waqr et au boulot du Sink. La ligne Epic a permis à Miller à la fois de se lacher (ligne adulte) mais surtout de garder un certain contrôle sur le perso de Elektra (EPIC étant une ligne de creator owned). Elektra, le perso One-Off, qui ne voulait pas mourir ^^ (comme son modèle Sand Saref, à la sauce Lisa Lyon) – pour cette raison que le perso est développé dans Bizarre Adventures avant de revenir dans DD.
Pour remettre dans le contexte, et pourquoi la peur du Nucléaire… (très tendance à cette période 1984- 1987):
25 septembre 1983, la base de Kourilouvo, détecte des missiles Balistiques Américains lancés vers le territoire soviétique. L’officier de garde ( Stanislav Petrov) juge qu’il y a peu de missiles et que ca doit être une mauvaise interprétation de l’ordinateur, empêchant la riposte nucléaire soviétique.
(l’Album de Rush : Grace Under Pressure (surtout le titre Distant Early Warning) parle de cet évènement, Two Minutes 2 Minute de Maiden (1984) parle de la situation générale du bloc Est/ouest, j’ai toujorus pensé que Always the Sun d s Stranglers avait été influencé par l’évènement … et le documentaire: Guerre Froide: L’homme qui sauva le monde de 2014, entre autre .. )
Et Elektra Assassin remplace le Elektra Lives Again qui aurait du sortir à cette période… (Les premières planches ayant été présentées fin 86 ou début 87).
J’ai un souci similaire avec Stray Toasters, (« relu » il y a quelques années) trop décalé pour que je rentre dans l’histoire (même si avec l’age, je suis moins réfractaire).
Et j’oubliais, Russains de Sting, chanson clairement en rapport avec l’évènement ^^
Le récit est trop barré : j’avais été très surpris à la relecture de constater la solide structure de l’intrigue, sa trame claire et très cohérente.
Merci beaucoup pour le développement du contexte historique. Cela faisait plusieurs années que les générations vivaient dans l’ombre du champignon atomique, The Wall de Pink Floyd (Mother, do you think they’ll drop the bomb?), le principe de M.A.D. (Mutually Assured Destruction), les romans de science-fiction, les comics indépendants post-apocalyptiques où l’effondrement de la société n’était pas le fait de zombies ou d’une pandémie, mais d’une guerre nucléaire généralisée, avec retombées radioactives et nuage de particules, etc. L’inconscient collectif des années 1960 & 1970 était saturé de la menace de la guerre nucléaire.
Oui la crise des fusées Pershing en novembre 1983 a cristallisé en Europe et surtout en Allemagne un déferlement de réactions chez les musiciens et on peut élargir vraiment de 99 LUFTBALLONS de NENA à CROSSFIRE de Scorpions (qui a réincorporé ce titre lors de sa dernière tournée au vu des événements qui secouent l’actualité depuis 3-4 ans) en passant même par VAMOS A LA PLAYA .
On pourrait aisément chercher un titre sur chaque disque de metal allemand des années 80 (HOW MANY TEARS de Helloween, THEY WANT WAR de U.D.O ou RUSSIAN ROULETTE d’ACCEPT. la reprise de YOU’RE IN THE ARMY NOW de Status Quo et je suis sûr qu’on pourrait trouver des tas d’exemples (un dernier THE FINAL COUNTDOWN de Europe) . La jeunesse vivait tétanisée dans l’attente du premier qui appuierait sur le bouton fatidique.
Pour Stranglers, ALWAYS THE SUN, ça paraît évident et c’est même récurrent puisque je crois qu’on peut aisément ajouter WHO WANTS THE WORLD ou NORTHWINDS
… Je suis passé complètement à côté de cette angoisse, moi qui n’ai jamais vraiment cru à la Guerre Froide : j’ai passé les années quatre-vingt à déprimer à cause du virus. Ça me semblait beaucoup plus concret, comme menace.
Complexe et compliquée comme histoire, bien qu’aimant le style de Sienkewicz, l’un des dessinateurs les plus barrés et innovants de l’histoire de la BD US. Ah ses New Mutants.
Ce que je retiens d’Elektra Assassin c’est l’histoire d’inceste qui aura traumatisé cette pauvre gamine au point d’en faire une tueuse à moitié folle, Miller montrant bien les conséquences au long terme de ces abus sur le psychisme des victimes.
Comme Grant Morison avec Crazy Jane dans sa version de la Doom Patrol.
Excellente remarque : une facette du récit que je n’ai pas pensé à mettre en avant, Miller montre que les traumatismes ont des conséquences.
Il l’a montré dans son run sur Daredevil quand le Gladiateur kidnappe une petite amie de Matt Murdock et elle explique avoir été « terrorisée » quand il la gardait prisonière. Une métaphore du viol.
Je m’avance peut-être mais, si on s’en réfère à la traduction du personnage du Gladiateur par Miller (discrète dans le détail, il est vrai, mais il lui arrive d’être subtil), on peut sans trop craindre avancer l’idée qu’elle n’avait précisément pas à craindre ce genre d’agression-là.
Et pour rebondir sur son homophobie supposée -le sujet revient pas mal dans les commentaires sur les articles ciblant ses œuvres, sur le site-, je pense sincèrement que ce sont d’avantage les clichés comportementaux associés aux orientations sexuelles, qui lui posent problème ; bien plus que l’homosexualité en elle-même.
J’irai même jusqu’à dire qu’il en a été victime, dans sa construction identitaire, au niveau de l’assimilation sociale « caractère = penchants » systématique, étant donné son parcours créatif et les quelques indices plus personnels glanés dans les-dits articles pointés plus haut.
Parcours créatif que je trouve, de ce point de vue-là, plutôt transparent.
Merci Bruno, content que le Gladiateur n’ai pas été un violeur finalement.
Moi aussi : Miller & Mazzucchelli lui ont fait une bonne tête 😉