Focus : Centaur Comics
Un article de DAVID BREHON
VF : Centaur Comics
1ère publication le 29/01/20 – MAJ le 09/05/21
Centaur Chronicles est un projet de Bandes Dessinées qui fait revivre dans des aventures modernes, des super héros américains oubliées des années 30 et 40 !
En 2015, 2017 et 2019 les 3 premiers volumes ont pu voir le jour . Le 4ème et dernier volume du premier arc narratif de CENTAUR CHRONICLES ! est actuellement en cours de financement Ullule
Notre guest David Brehon rencontre Jean-Michel Ferragatti pour nous en parler
Il y a des comics qui ne se rangent dans aucune catégorie. Centaur Chronicles fait partie de ceux-là. Réimpression de comics de l’âge d’or ? French comics ? Documentaire sur les premiers super-héros des années 30-40 ? C’est un peu tout cela à la fois. Tout à commencé quand Jean-Michel Ferragatti, auteur de l’Histoire des Super-Héros (Neofelis Editions), a découvert chez un bouquiniste de vieux illustrés narrant les péripéties de héros costumés dont il n’avait jamais entendu parler : Masked Marvel, Fantom of the Fair, The Eye ou encore Amazing Man. Autant de noms qui évoquent les personnages de DC ou Marvel.
De pâles succédanés ? Pas vraiment, car si plagiaires il y a, ça pourrait bien être les Big Two. En effet, tous ces personnages ont vu leurs aventures publiées à la fin des années 30 et au début des années 40 par l’éditeur Centaur Publications Ils font donc partie des tous premiers super-héros de l’Histoire de la bande dessinée, créés dans la foulée de Superman. Et leurs auteurs sont loin d’être tous des inconnus. Jugez plutôt : Bill Everett, créateur de Namor the Submariner et et co-créateur Daredevil, Al Pastino, cocréateur de la Légion des Super-Héros et de Supergirl, ou encore Paul Gustafson, créateur du premier Angel et de The Spider. Bref, des pionniers qui ont inventé de nombreux concepts sur lesquels reposent nos comics contemporains. Tous ces héros avaient le potentiel d’une carrière aussi glorieuse que ceux de Marvel ou DC mais la disparition de leur éditeur les a fait tomber dans l’oubli. Oubli d’où Jean-Michel Ferragatti (JMF) a décidé de les tirer.
Pour cela, il a choisi d’écrire de nouvelles histoires autour de ces justiciers (ils sont aujourd’hui libres de droit). Mais plutôt que de proposer un reload, il reste dans la continuité des comics originaux et explique leur absence par une approche métatextuelle où la réalité éditoriale coïncide avec l’univers fictionnel. Pour ne pas perdre le lecteur, JMF décide d’enrichir son récit de rééditions de certains épisodes de l’âge d’or et de textes présentant les personnages et leurs auteurs. C’est donc à un véritable voyage dans un pan méconnu mais passionnant de l’Histoire des comics qu’il nous invite. Pourtant, cette aventure faillit ne jamais voir le jour. Les deux premières tentatives de JMF n’aboutirent pas. Refusant de renoncer, il s’associe au dessinateur Patrice Martinez, dit Marti, auteur de French Comics, pour lancer sa série.
D’emblée, il prévoit une saga en 4 volumes reprenant les personnages de Centaur Publications. Les trois premiers tomes sont déjà parus via une campagne de financement participatif sur Ulule et la quatrième et dernière partie, en cours de réalisation, devrait voir le jour courant 2020. Ce projet ambitieux ramène du passé tous ces héros oubliés dans un récit surfant entre les années 40 (les rééditions des vieux comics) et des années 50 uchroniques où le maccarthysme s’en prend aux masques. A l’instar de The Twelve ou Project Superpowers, JMF modernise et rassemble tous ses personnages dans une intrigue unique. Il s’attelle à dépoussiérer cet univers en le rationalisant, en fournissant une origine commune et cohérente à tous les super-héros, comme avait pu le faire Alan Moore avec Miracle Man.
Je ne cite pas Alan Moore par hasard, car l’ombre du scénariste britannique pèse sur Centaur Chronicles. Outre la démarche de réhabilitation de vieux justicier, JMF reprend certaines des méthodes de Moore, notamment l’introduction qui pourra rappeler celle de Watchmen, l’approche métatextuelle, la construction des scénarios ou encore l’exploration des techniques narratives via l’alternance des supports. Même si l’influence de Moore est parfois inconsciente (l’auteur s’en est expliqué dans différentes interviews), elle lui permet d’écrire une oeuvre exigeante et mûrement réfléchie. Chaque tome s’articule autour d’un élément clé du récit (le retour des héros, leurs origines, leurs adversaires…) et les pièces du puzzle s’emboîtent jusqu’à l’affrontement qui aura lieu dans le chapitre final. Centaur Chronicles commence par le meurtre d’une héroïne, The Magician from Mars.
Ses partenaires surpuissants se rassemblent progressivement pour mener l’enquête. Mais pendant ce temps, d’autres menaces plus insidueuses mais non moins dangereuses risquent d’avoir la peau des justiciers : le maccarthysme et un psychiatre, le Dr Warthem, équivalent fictionnel du Dr Fredric Wertham qui a bien failli détruire l’industrie du comic book dans notre réalité. Cette enquête va progressivement dévoiler certains secrets, dont l’origine réelle des surpuissants. Alors que les victimes s’accumulent et que l’étau politique se resserre, les adversaires sortent progressivement de l’ombre pour révéler les liens qui les unissent aux héros et qui sont à l’origine de leur haine destructrice.
La première chose qui surprend dans Centaur Chronicles est la qualité de l’ouvrage : couverture glacée et cartonnée, papier également épais et cartonné, impression de qualité… Rarement les French Comics nous ont proposé une édition si soignée. De format comic book, chaque tome compte une centaine de pages, presque exclusivement consacrées au récit, les bonus se limitant à une introduction et à quelques illustrations. Cependant, la structure même de l’intrigue permet d’intégrer ce qui aurait normalement fait office de bonus : de l’éditorial et la réimpression du matériel original. Et là, saluons à la fois la qualité du travail rédactionnel réalisé par JMF, véritable historien des comics, et la très belle restauration des épisodes du Golden Age par Reedman, autre figure bien connue des French Comics.
Si l’objet mérite le détour, qu’en est-il du contenu ? Nous avons précédemment évoqué l’ambition louable de l’auteur de construire un univers fictionnel cohérent rendant hommage au matériau d’origine. S’il maîtrise parfaitement son sujet, il se montre un peu moins à l’aise sur la forme. Les dialogues semblent datés et pas toujours naturels. Mais cela ne pose pas de problème car l’intrigue se déroule dans les fifties et ce ton limite le décalage avec le style des épisodes originaux. On regrettera en revanche que l’auteur ne dispose pas de plus de place pour s’exprimer. Le nombre important d’informations fournies en une centaine de pages rend la lecture dense, ce qui risque de pertuber les lecteurs habitués à la décompression d’un Bendis. Mais l’on aurait mauvaise grâce à se plaindre d’avoir entre les mains une oeuvre riche à la valeur historique indéniable. La difficulté de faire cohabiter des histoires écrites il y a 80 ans avec une production contemporaine ne se limite pas au scénario.
Le graphisme suranné des épisodes originaux possède un charme certain pour les amateurs et l’on découvre avec étonnement que certains artistes étaient bien plus modernes que leurs contemporains. Evidemment, les plus jeunes risquent d’être rebutés par une narration graphique archaïque… mais ils ne sont pas la cible première de cette oeuvre. Pour la partie création, le choix de Marti aux pinceaux se justifie car son style très classique dans sa mise en scène ne jure pas avec les planches plus anciennes. La colorisation de Reedman puis d’Eric Van Elslande vient réhausser agréablement le travail du dessinateur. Bien que nous ne soyons qu’aux trois quarts de l’aventure, nous pouvons d’ores et déjà dire que le pari un peu fou de Jean-Michel Ferragatti est réussi : il est parvenu à ramener des personnages charnières de l’Histoire des comics de façon cohérente tout en respectant le matériau original et ses auteurs. Loin d’être un simple comic book, Centaur Chronicles est la résurrection d’un univers fictionnel qui a inspiré un grand nombres de nos héros actuels. Un univers qui ne demande qu’à s’étendre et à être exploré.
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La BO du jour : reprise (de Bowie) et âge d’or
Il semblerait que lorsque les titres de Centaur Publcations tombèrent dans le domaine public, plusieurs maisons d’édition tentèrent de relancer les personnages. Malheureusement sans succès.
Malibu Comics par exemple au début des années 1990.
Je souhaite plus de chance à Centaur Chronicles.
Merci beaucoup Surfer. Le succès des reprises n’a jamais été très impressionnant en effet et je pense pour deux raisons que nous avons essayer d’éviter avec Centaur Chronicles.
Premièrement, nous ne mélangeons pas les personnages d’éditeurs du golden age. A deux exceptions prêt, qui relève soit du clin d’œil soit de la sérendipité, il n’y a que des personnages de Centaur Comics dans le projet (et c’est largement suffisant).
Deuxièmement, nous sommes cohérent avec les épisodes originaux car nous avons la chance, contrairement à Malibu à l’époque, de disposer de scans !
ce genre de projet a toute ma sympathie
je me souviens des bd analogues comme the twelve ou plus exactement SUPERPOWERS
j’ai voulu à l’époque où je me prenait pour un auteur, faire un truc qui se serait intitulé ATROCE CITY. suite à une catastrophe écologique sans nom des émanations chimiques auraient réveillé des héros que j’avais jugé important comme le premier Daredevil à damier, madame masque, le premier Hydro Man, un détective avec un chiffon sur le visage dont je ne me rappelle plus le nom…
j’avais trouvé tout ça dans une vieille encyclopédie du comics, mais bon j’ai jamais avancé.
d’ailleurs je crois que la vraie difficulté est de trouver une véritable accroche pour moderniser et rendre iconique ces vieilles figures , une accroche qui n’ait pas déjà été faite par Alan Moore justement parce que si je relis encore un truc du genre « une expérience m’a fait croire que je vivais des aventure de bd sous l’influence de la drogue… » je referme.
Miracle Man a déjà été pillé pour Senrty…
néanmoins j’dore certains designs et s’il y a des réimpressions , ça doit être curieux à lire…
« j’ai voulu à l’époque où je me prenait pour un auteur, faire un truc qui se serait intitulé ATROCE CITY. »
Mais c’est bien de se prendre pour un auteur. D’ailleurs on peut tous êtres des auteurs ou artistes. Pas forcément des bons…mais ça c’est autre chose^^
Bruce parlait hier de jouer de la musique parce qu’il ne pouvait plus se contenter de l’écouter.
Moi pareil pour le dessin. Et dans une moindre mesure le cinéma. Je ne pouvais plus me contenter de lire, je voulais créer des persos et faire des BD. Et j’ai fait quelques courts métrages avec des potes. Là on se rend compte à quel point c’est difficile le cinéma. A côté de ça, une BD c’est peanuts. Enfin…une BONNE BD c’est du boulot, mais t’es pas du tout limité dans le dessin. Alors qu’un film…faut du pognon, des décors, des acteurs, motiver tout le monde, trouver des gens dispos. Et comme personne n’est pro ça peut quand même être tout pourri au final^^ Mais c’est fun.
C’est vraiment intéressant de tester soi-même le processus créatif.
Bon sinon je ne connais pas du tout Centaur comics. J’ai appris un truc sur l’existence de ces héros oubliés.
Je ne suis pas sûr de m’intéresser à leur remise au gout du jour, mais l’article est intéressant en tous cas.
Le détective avec un chiffon sur le visage ne serait il pas The Clock ? Si oui, tu pourrais le voir dans notre projet. Petite motivation supplémentaire pour découvrir le projet 😉
SI c’est lui… une sorte de détective dandy vintage…
Je n’avais jamais entendu parler de ces héros et de leur maison d’édition, et je salue l’ambition de ce projet de les remettre au goût du jour. Cela semble réussi avec une intégration de vieux épisodes et un modèle meta, ça peut être super ! Je suis moins attiré par les dessins que je vois en illustration par contre. Mais ça peut valoir le coup. Merci pour la découverte.
La BO : une reprise molle et un peu fainéante que je ne connaissais pas.
Merci à David pour s’être acquitter d’une mission impossible pour moi : parler de héros du Golden Age, une période qui va fasciner les vrais spécialistes de l’histoire des comics. A côté on se sent vraiment tout petit d’une telle érudition. Ce serait très difficile pour moi de sauter le pas, sauf si j’avais découvert ces comics il y a 30 ans.
J’en sais plus désormais.
@Cyrille : ce n’est pas la plus originale des reprises de Manson, j’en conviens. Elle aura eu le mérite de me faire connaître il y a une quinzaine d’année une chanson de Bowie que je ne connaissais pas. A l’époque je ne voulais pas entendre parler de ses disques post Diamond Dogs.
J’avais vu passer l’annonce de ce projet sur les réseaux sociaux sans rien savoir de ce dont il retournait. Cet article vient à point nommé pour expliquer ce dont il s’agit, et j’étais loin de m’imaginer l’ambition et la nature de cette œuvre. Merci pour cette présentation.
Je m’aperçois que je n’avais jamais entendu parler de Centaur Publications et de ses héros : Masked Marvel, Fantom of the Fair, The Eye, Amazing Man. L’article est très éclairant sur le parallèle qui s’établit entre le récit de Jean-Michel Ferragatti, et des comics comme SuperPowers ou The Twelve, et bien évidemment avec Watchmen qui commence lui aussi par le meurtre d’un héros (The Magician from Mars en lieu et place du Comédien).
J’ai bien aimé la distinction opéré par l’article entre la réception d’une telle BD par des lecteurs expérimentés, et par des lecteurs plus jeunes : effectivement, il est vraisemblable qu’ils ne viennent pas chercher la même chose.
@Bruce, oui,je confirme l’érudition de JMF.
Cela se sent dans tous ses travaux.
@Présence, ravi que l’article t’ait plu.
À tous les autres, je suis ravi que vous ayez découvert avec cet article ces vieux personnages qui sont les ancêtres de nombreux super-héros et que JMF tente de sortir de l’oubli.
Eh bien, en voilà une découverte.
C’est quelque chose de difficile à imaginer, qu’il y ait eu des super-héros avant DC et Marvel….
C’est un sacré travail d’historien et de restauration. Je serais curieuse de lire ça…
Si la curiosité se révèle trop forte, n’hésitez pas à commander le 1er volume 😉
Kaori, effectivement c’est une sacrée découverte. Mais Superman à été le premier super-héros. Ces personnages ne sont pas antérieurs à DC mais ce sont pionniers et ils sont antérieurs à beaucoup de héros connus qui s’en sont inspiré.
Dans cet article aussi, on sent la passion. Il en faut pour s’essayer à réssusciter tout un univers oublié.
En ce qui me concerne, le souci, c’est que dans mon imaginaire, Marvel et DC sont fortement installés et il faut vraiment « quelque chose » pour que je m’intéresse à un autre univers étendu de super-héros.
Tenez, au risque de choquer, l’un des griefs que j’ai contre Watchmen, c’est que c’est un peu cheap côté super-pouvoirs ! A part le Doc Manhattan, les autres ont zéro pouvoirs ou presque (Ozy est au top de l’humain et rattrape des balles mais bon, c’est pas la profusion). Où sont les Skrulls ? le Watcher ? Galactus ? Les Sinister Six ? Le Doctor Doom ? La Main ? Quand on me dit que Watchmen est LE récit de super-héros, ça me fait toujours un peu chier. C’est une oeuvre de référence, certes, de grande qualité, mais je n’y retrouve pas toute la richesse, l’abondance et le sens du merveilleux des grands univers partagés.
Watchmen est souvent vendu comme un récit de super-héros, mais son approche et son contenu font qu’il s’excuse presque d’être un récit de super-héros. C’est plus de la SF. Vous comprenez, on ne peut pas vraiment être sérieux, avec les super-slips.
Et peut-être que oui, mais sûrement que non. Le Warlock de Starlin, il n’est pas « sérieux », « crédible » mais il est dérangeant, enthousiasmant, profond. Et il y a un Troll, des aliens à grosse tête et le héros à la peau dorée et remonte le temps pour se suicider…
Notez que je ne suis pas anti Alan Moore, mais dans le genre univers de super-slips ré-inventé, je préfère, son Top 10 avec Gene Ha, pour la multitude de références et de pastiches.
Désolé de la tartine, c’est peut-être Centaur qui m’a donné envie de monter sur mes grands chevaux…
Pour Watchmen, Moore c’est justement basé sur l’univers Charlton et la ligne Action Heroes ou aucun personnage n’avait de super-pouvoirs sauf Captain Atom qui est la base du Doctor Manhattan.
Pour Centaur Chronicles, nous avons une soixantaine de personnage dont une bonne quarantaine avec des super-pouvoirs comme Amazing Man, Mighty Man, Magician from Mars, etc.
Cela nous permet donc d’avoir une univers très riche & très cohérent avec des vrais « Four Colos Heroes ». Le premier story arc est centré sur les six personnages principaux (Council of Six) mais nous avons des projets sur les super-vilains et même s’il n’y a pas de Skrull, il y a du cosmique !
A vous de voir si cela vous tente !