Le défi Nikolavitch : Qui est Alfred Pennyworth ?
1ère publication le 27/04/18- MAJ le 28/10/18
UN ARTICLE D’: ALEX NIKOLAVITCH
ILLUSTRATION : MATTIE BOY
On m’a demandé récemment (Monsieur Bruce m’avait donné rendez-vous dans un parking désert et mal éclairé pour me faire passer la question, mais il a eu beau relever le col de sa gabardine, je l’ai reconnu quand même) (bon, vu que le parking en question, c’était devant chez lui, c’est le genre de signe qui me met sur la piste, en général) si je pouvais parler d’Alfred.
Alors, pas le roi saxon qui a régné au IXe siècle en Angleterre et qui était contemporain des invasions viking. Non. Ça aurait été trop facile. Non, il parlait bien d’Alfred Pennyworth, le majordome (donc non pas un roi du Haut Moyen-Âge, mais ce qu’on appelait à l’époque un Maire du Palais, Major Domo en latin, si si, je vous jure) (ne vous mettez pas Martel en tête, j’en viens au fait, promis)(bon, j’avais promis d’arrêter les parenthèses à rallonge aussi) et homme de confiance de Bruce Wayne.
Parce que sous ses dehors affables (quoique volontiers ironiques), le larbin cache une redoutable efficacité, à la manière de ce personnage joué jadis par Paul Meurisse dans Le Majordome (maître d’hôtel d’un juge au civil, Léopold est sur son temps libre caïd du milieu et accessoirement braqueur) (si vous l’avez pas vu, je recommande).
Alfred ne fait pas qu’épousseter le manoir, s’occuper de la lessive et de la cuisine. Infirmier de campagne, il recoud plus qu’à son tour son maître qui a de la chance d’être milliardaire, parce qu’il prend cher assez souvent. Et c’est un organisateur né, notre Alfred qui assure le dispatch et le pilotage à distance de toute la bat-family.
Et puis il y a le passé. Alors, les Pennyworth sont majordome de père en fils (et majordome de la vieille école, celle qui était à l’angle de Clarkenwell Road et de White Bear Yard, à Londres (vous pouvez pas la louper, c’est presque en face de la boutique de magie). On y apprend la distance réglementaire entre le couteau et l’assiette, le port de tête raide sans être altier et le lever de sourcil chargé de sens. Mais pas la boxe, ni la trachéotomie avec un corps de stylo Bic, ni le pilotage à distance de la batmobile.
En fait, la raison pour laquelle Alfred s’entend si bien avec Dick Grayson et le jeune Damian, c’est bien qu’il se reconnaît en eux. Lui aussi a été un gamin rebelle qui n’en faisait qu’à sa tête. Il ne voulait pas faire le loufiat, il a fait l’acteur. Et attention, l’acteur Shakespearien, comme Patrick Stewart (qui faisait pas le loufiat, mais le cocher, dans Le Petit Lord Fontelroy, au service de Sir Alec Guinness, c’est l’une des deux fois où le Capitaine Picard a donné la réplique à Obi-Wan Kenobi). Mais, vous allez m’objecter que ce n’est pas sur la scène du Globe, à déclamer Toubiorenotetoubi qu’on apprend à rafistoler les hommes chauve-souris. Voyageant beaucoup, Alfred a été repéré par les services spéciaux de sa Gracieuse Majesté, et il aurait travaillé pour eux.
On évoque souvent un passé SAS, pour Alfred. Mais rien à voir, je vous rassure, avec le Prince Malko. J’imagine de toute façon plus Alfred avec une montre de gousset qu’avec une extra-plate.
Alfred a donc appris à se battre. Et à réparer ses petits camarades. Et à gérer des opérations qui se barraient en vrille.
Alors, la timeline de DC étant ce qu’elle est, difficile de savoir à quelle époque Alfred a fait le coup de feu. Ce qui nous indiquerait où. Etait-ce en Crète contre les Nazis (auquel cas il aurait eu comme compagnon de chambrée rien moins qu’un autre acteur, Christopher Lee, qui a combattu là-bas pour de vrai) ? En Afrique lors de la décolonisation ? En Irlande du Nord ? Aux Malouines ? En Afghanistan (aux côtés alors du Docteur Watson version Sherlock) ? Allez savoir. Toujours est-il que, si après son retour, il s’est réconcilié avec son père sur le lit de mort de ce dernier et a pris sa place chez les Wayne, Alfred est beaucoup plus bad-ass que son apparence pourrait le laisser supposer.
Les versions les plus récentes, celles de Beware the Batman ou de Batman Earth One tentent d’ailleurs d’adoucir cette dichotomie avec un Alfred à l’apparence plus dure, plus burinée. C’est ce qui le différencie des Nestor (Tintin), Jarvis (Iron Man, Les Vengeurs) ou James (la chanson Tout va très bien, Madame la marquise, superbe démonstration de flegme), ce lourd passé avant de devenir un personnage à la Vestiges du Jour (bon, dans les Vestiges du Jour, on oublie charitablement que le loufiat a été psychiatre cannibale)(et dans les Vestiges du Jour, le loufiat donne quand même la réplique à Clark Kent, hein).
Mais il y a mieux. Son poste de coordinateur officieux de la Bat-family, c’est pas forcément un truc qu’il peut mettre sur le CV, d’autant qu’avec les lois sur les quotas de handicapés, Barbara Gordon a pas mal tiré la couverture à elle sous ce rapport. Et a fini par monter sa propre équipe.
Ça a fini par lui donner des idées. Tel le « Je suis Charlie » moyen, il a monté une équipe de Drôles de Dames, les Totally Spies et sous un faux nom (je pense qu’il a une clause d’exclusivité dans son contrat avec Wayne et qu’il se couvre comme ça) il dirige un groupe de jeunes filles qui sauvent le monde sans être affiliées à Batman Incorporated.
Et le Alfred de l’expression « T’as le bonjour d’Alfred », ça n’est pas Pennyworth, bien sûr. Parce que sinon, ce serait « Alfred vous envoie ses salutations, Monsieur », dit sur un ton guindé teinté d’une très légère pointe sarcastique. Ce qui est, vous en conviendrez, tellement plus smart. Mais d’où vient l’expression originale ? Vous le savez, vous ? Eh bien du même endroit que les Alfred, les prix distribués jadis à Angoulème (puis ça a changé de nom à cause je crois d’une histoire d’ayant-droits, c’est devenu l’Alph’Art, et là après une histoire d’ayants droits, c’était quand même fin con d’aller chatouiller ceux de Tintin sous les narines, quand même, et maintenant je sais même plus comment on dit, mais le festoche d’Angoulème, j’y vais surtout pour picoler avec les copains, en fait, donc je dis « un prix à Angou, le prix du… chais plus… tu vois, un prix, quoi. Tu me ressers un shot, Edmond ? »). Bref, on pouvait gagner un Alfred.
Mais ce n’était pas un majordome. Mais pas loin, pourtant, vu qu’il s’agissait d’Alfred le Pingouin, apparu dans les Zig et Puce d’Alain Saint-Ogan. Une BD tellement patrimoniale qu’elle est grosso modo contemporaine de Bécassine et prédate Tintin de quelques années, quand même. Et « T’as le bonjour d’Alfred », c’était une expression du pingouin quand il avait roulé un méchant dans la farine (ou dans la poudreuse. c’est un pingouin, quand même, on en trouve plus souvent sur la banquise que chez le boulanger).
Un pingouin. L’animal totem des messieurs guindés en frac.
Tout se recoupe.
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Avec Nestor chez Tintin, c’est le majordome le plus populaire de la bande dessinée : Alfred, le guérisseur, cuisinier, confident, porte-flingues de Batman ! Il était temps qu’il fasse la une de Bruce Lit avec rien de moins qu’Alex Nikolavitch pour en dresser le portrait !
La BO du jour : mes contributeurs ont décidément de drôles de goûts musicaux….
Hello,
Merci d’avoir un peu levé le voile avec flegme et digression, sur ce gars un peu taciturne qui cache bien son jeu !
On le croit en retrait mais il tire plus de ficelle qu’on le croit…
Il a peut-être eu plus qu’une vie pour en arriver là !
En tout cas, et malgré le fait qu’il n’est pas vraiment censé être un personnage central, il inspire d’autres œuvres.
Je prends pour exemple le majordome anglais de la comtesse Allegria du manga Hellsing.
Identique dans le comportement et dans l’action… Sauf pour ses motivations finales…
Dans Hellsing, mon personnage fétiche reste le père Anderson.
Je crois me souvenir aussi que dans la série animée des années 90, il y a des épisodes qui font mention du passé d’Alfred au MI-6. Un épisode avec la terroriste griffe rouge.
https://goo.gl/images/4mH6Wu
au fait, Matt, j’ai quand même un peu plus de cheveux que ça ! 😉
(mais en effet, le jour où j’en perds encore plus, je vire la barbe et je garde la stache, et je deviens loufiat chez un milliardaire) (je parie que je peux assurer)
tu arrives toujours à renouveler l’exercice, hein ?
Ah ben il fallait virer des cheveux pour faire une sorte d’Alfred.
Pour le coup j’avais pas trop d’idées pour cette fois. Sur un dessin, si on change trop d’éléments, on ne reconnaît plus le mec que c’est censé représenter. Surtout que je ne sais pas à quoi tu ressembles sans barbe^^ Donc c’était un peu un truc au pif ce que j’ai fait.
plus personne ne sait à quoi je ressemble sans barbe.
Tiens, à la tienne !
Et c’est la dernière fois que vous me foutez du Topaloff hein….
t’es vraiment pas joueur.
(et je peux toujours trouver pire, hein)
J’ai beaucoup aimé la caricature pour le dessin en en-tête, qui amalgame bien Alex et Alfred.
Bravo pour ce portrait pas facile à établir du fait du nombre de versions différentes du personnages, au fur et à mesure des remises à zéro de l’univers partagé DC, et en prime on a droit à l’origine d’une expression que j’aurais été bien en peine de pouvoir expliquer.
Je ne suis pas près d »oublier le lien avec Samantha Simpson, Clover Ewing et Alexandra Vasquez. Même Alfred est obligé d’arrondir ses fins de mois !
Super article comme d’habitude, dans lequel j’apprends plein de choses sans en avoir l’air. Je connaissais cette histoire de prix d’Angoulême mais je n’abandonne pas l’idée d’y aller un jour moi aussi et de boire des coups avec des copains libraires et / ou auteurs.
Je suis tout à fait d’accord pour Totally Spies, on le reconnaît bien ! Par contre il faut que je voie Le majordome. De manière générale, j’ai vu très peu de films de Meurisse. Et je n’ai pas vu Les vestiges du jour non plus.
La BO : je ne connaissais pas ce morceau. Ou je l’avais oublié. Je ne comprends pas trop ce que signifient les paroles.
Merci pour cette analyse, ça c’était intéressant et fluide à lire !