Le défi Nikolavitch : Charles Xavier pédophile ?
1ère publication le 21/12/17-Mise à jour le 08/09/18
AUTEUR: ALEX NIKOLAVITCH
Chaque mois, Alex Nikolavitch, traducteur, romancier, essayiste, scénariste et guest de Bruce Lit est mis au défi de répondre aux plus grandes énigmes de la culture comics. Aujourd’hui, après consultation populaire sur Facebook, il répond au petit Patrick Faivre:
Pourquoi Xavier était il amoureux de Jean (ce vieux pédophile) puis plus ?
Ah, les commentaires graveleux quand, jadis, on confessait se passionner pour le X… Mais quand on regardait ces « revues X » au tournant des années 90, s’il y avait certes de la petite pépée prenant la pose aguicheuse et du bonhomme à la virilitude affichée et à la musculature de culturiste, force est de reconnaître qu’on n’était pas dans la débauche luxurieuse qu’on aurait pu attendre au vu des titres : « X-Men », ça a quand même un côté amours viriles, « Facteur X » renvoie directement à la fabrication de bâtardises par des employés des Postes, « X-Force » n’en parlons même pas, on pourrait croire à de la rape fantasy. Bon, ça s’est tassé quand, grâce aux films, et la franchise X-Men est devenue mainstream.
Mais la question n’est pas ici de savoir si Cyclope (qu’on fait pleurer) ou Colossus (qui n’avale pas) sont ou pas des queutards déhésquesques. Cette introduction (pouf pouf) pleines de mots clés olé-olé est d’autant plus fourbe qu’en dehors de son côté putaclic assumé et totalement cynique, elle amène avant tout à une question de magistère moral. Eh oui. Je suis fourbe comme ça.
Non que j’aille jouer les pères la pudeur, hein (vous savez sur quels titres de comics j’ai pu sévir en tant que traducteur, entre The Boys et ses chiens violeurs, supermen obsédés, paroles lestes et démoulages de cakes dans la batcave, ou Sex Criminals dont le titre suffit à se dire que bon, voire Black Kiss et ses vampires travelos, j’ai pas mal donné dans le not safe for work nor reading in the train), mais les comics en général parlent énormément de dilemmes éthiques et moraux, et servent dans leurs grands moments à métaphoriser les lignes de tensions de leur époque.
Et donc, le dilemme moral au sujet duquel on m’a posé des questions, c’est de savoir si l’attirance de Xavier pour la petite Jean Grey était très saine, d’autant que dès qu’elle a grandi, il a semblé plus s’intéresser à Kitty Pryde ou Danny Moonstar.
Mais revoyons l’action au ralenti, façon Andrew Bla… Non, revoyons l’action au ralenti, tout court.
On a souvent évoqué, à propos des X-Men, l’analogie entre l’antagonisme Xavier et Magneto et celui, historique, qui opposa Martin Luther King et Malcolm X lors des luttes pour les droits des noirs (c’est sans doute surévaluer la capacité de Stan Lee à analyser son époque, mais l’analogie reste frappante, il y avait clairement un air du temps à l’œuvre). Plus récemment, Bryan Singer et Ian McKellen ont fait de la franchise cinématographique X-Men un porte-voix de la lutte pour les droits des homosexuels. Ce type de métaphore change fatalement avec le temps et les préoccupations de la société : la métaphore de Superman, surhomme mettant sa force au service de la défense des faibles est devenue celle du fort devant trouver des limites morales à l’emploi de sa puissance (et mine de rien, même cet idiot de Zack Snyder trouve à la traiter, cette métaphore)(sauf qu’il la traite à la schlague, par l’adjonction d’un contre-pouvoir encore plus brutal, et pas par l’émergence du sens de la décence et de l’éthique) (mais c’est Zack Snyder, on peut pas lui demander d’avoir la profondeur d’analyse d’un Milos Forman ou d’un Stanley Kubrick alors que son niveau de départ, c’est plutôt Rob Liefeld).
Et donc, Xavier et Magneto. L’autorité morale dont je tenais à vous entretenir aujourd’hui, c’est bien le premier du binôme, le Professeur X, fondateur et mentor des X-Men.
Dès le départ, Charles Xavier est donné comme « professeur ». La notion de magistère est donc complètement intégrée à la définition même du personnage. Le professeur est savant au point d’en sembler omniscient, bienveillant (quoiqu’un peu autoritaire, mais c’est un prof d’avant 68, c’est pour ça) et prêt même parfois à se sacrifier pour ses élèves bien aimés.
Ce n’est que plus tard, sous l’impulsion de Chris Claremont, qu’on étoffera le passé du vieux professeur, et qu’on creusera peu à peu ses zones d’ombre : ses amours contrariées, son fils caché, ses erreurs funestes… Mais arrivé à ce stade, Xavier s’est quasiment retiré de la série. Mort, ou parti dans l’espace (selon les époques), il a laissé le leadership aux plus expérimentés de ses élèves. Ce qui pourrait paraître un poil irresponsable.
Et puis on le découvre papa d’un petit garçon dont, s’il l’a confié à des gens sérieux, on a quand même sérieusement l’impression qu’il l’a abandonné. Et, soit dit en passant, il l’a eu d’une de ses patientes, polytraumatisée par son séjour dans les camps de la mort qu’il a soignée en installant un lien de confiance. Éthiquement, on peut quand même se dire que c’est assez discutable.
Graduellement, on verra apparaître de plus en plus souvent un Xavier méchant. Au départ, il est juste possédé par des entités malveillantes (après tout, son immense sensibilité télépathique le rend très susceptible de se faire infecter par des consciences autres, tout comme son élève Jean Grey) comme dans X-Men vs Micronauts, avec sa très dérangeante séquence de viol mental de la petite Danny Moonstar. Ou remplacé par un Skrull, comme durant le run de Jim Lee. L’image du Xavier flirtant avec le Côté Obscur a quelque chose d’efficace et revient de plus en plus souvent sous diverses formes : c’est une image de père devenant subitement abusif, et dramatiquement, c’est un outil qui a fait ses preuves.
Et peu à peu, ça dérape. On arrive à l’époque des Image Boys puis du champ de ruines qu’ils ont laissé derrière eux, et les héros se durcissent. Colossus est passé dans le camp de Magneto, et Xavier s’en va lobotomiser pour le compte son meilleur ennemi.
Et puis paf, le voilà même plus à flirter avec le Côté Obscur, mais à se le prendre en tournante, et notre Charlie devient un énorme gloubiboulga-méchant appelé Onslaught et ça justifie derrière tout le foutoir Heroes Reborn. Bon, il en est sorti des trucs cool, de Heroes Reborn, notamment les Thunderbolts, mais quand même.
Et depuis…
Depuis, c’est la fiesta del slip, comme on dit en Amérique du Sud (ou Slibarfest, selon l’expression des philosophes allemands).
Xavier a mis en place des protocoles d’élimination des principaux mutants au cas où (Batman style, quoi).
Xavier a une sœur jumelle tarée et psychopathe qu’il a étranglée dans le ventre de leur mère avant même leur naissance et qui le hante depuis lors.
Xavier magouille depuis perpète avec le Hellfire Club.
Xavier a embauché Mystique pour faire les sales boulots qu’il n’ose pas demander à « à moi mes X-Men ».
Xavier a envoyé un autre groupe de « nouveaux X-Men » à Krakoa avant Wolverine, Tornade et consorts, et il les a envoyés au massacre, mais n’en a rien dit à personne, pas même à Cyclope dont le troisième frangin s’est trouvé porté disparu à cette occasion.
Xavier passe son temps à mentir à tout le monde.
Xavier manipule l’esprit de ses élèves. Xavier est un illuminati qui, avec ses confrères, s’est arrogé le droit de décider du sort du monde et a validé de terribles erreurs stratégiques (expédier Hulk dans l’espace, par exemple). (et au cinoche : le jeune Xavier est un gros junkie, et le vieux Xavier possède le corps de son frère jumeau)(mais il a tellement honte du truc que c’est juste montré en passant en séquence post-générique). Ah, il est pas joli-joli, en fait, le Professeur X.
Et pourtant, quand Jason Aaron envoie ses Amazing X-Men aux enfers et au paradis, le Prof est à l’étage, pas au sous-sol. Que Diablo (décédé quelques temps auparavant) soit au ciel, en dehors du côté vachement ironique visuellement de la chose, ça tombe sous le sens : c’est un des vrais et authentiques gentils de la bande, beaucoup moins torturé que les Wolverine, Cyclope et autres Feu du Soleil. Même Ororo a plus d’ombres intérieures que Diablo, un bouillonnement intime et une colère rentrée que l’on ne retrouve pas chez le diablotin enjoué. Mais le prof ? Après tout ce qui s’est passé ? Ah, des fois il faut carrément le mettre en orbite, le disbelief. La suspension n’y suffit pas.
Et pourtant, le Professeur Xavier demeure une des classiques autorités morales de l’univers Marvel, s’exprimant dans les médias en tant qu’expert à la réputation mondiale (un vrai expert, quoi, pas un invité BFMTV)(quoique, maintenant que vous me le dites…) sur tous les sujets touchant à l’intégration des Mutants. Pour les Mutants eux-mêmes, « le Rêve de Xavier » reste très longtemps la référence éthique et idéologique. Contrairement à ceux de Magneto, du coup, ses revirements et errements s’apparentent à des trahisons.
C’est justement parce qu’il représente une autorité morale que primo, il doit déraper (un personnage doit évoluer) et que secundo, ses dérapages ont de l’impact. Norman Osborn qui part en sucette, tout le monde s’en fout un peu : dramatiquement ça n’a plus d’intérêt (c’est intéressant comme élément constitutif du récit, pas comme séquence choc). Quand c’est le Xav’, tout de suite ça marque plus. Mais les dérapages répétitifs finissent mécaniquement par l’abimer, et pour leur garder un impact il faut jouer la surenchère. À partir de quand Xavier est-il un salaud et plus une référence ? Et à partir de quand est-ce incorporé à la logique de la série ?
Alors, euh… c’était quoi, la question, déjà ? Ah oui, le père Xavier rêvait-il de se taper la petite Jean Grey ?
Après tout ce que je viens de vous raconter, ça vous semble pas louche, ce vieil impotent qui fait joujou avec ce qui se passe dans la tête de jeunes filles en fleur ? On parlait de métaphores dans la structure des séries X-Men, et force est de reconnaître que, depuis au moins la Saga du Phénix Noir, le motif du viol psychique fait partie de l’arsenal conceptuel des titres X, avec la névrose sexuelle (Malicia), le réveil des bas instincts (Wolverine, Beast) ou l’abus de confiance (Gambit, Bishop, Xavier, Magneto, Xorn, etc. etc.).
Donc voilà. Vous ne verrez plus jamais ce vieux cochon de Xavier de la même manière.
Merci qui ?
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Bruce Dit : C’est la fin de notre Nikolavitch épisode aujourd’hui. Mais en coulisses, Mattie Boy, l’auteur des covers s’est mis à divaguer et devenir fou à son tour. Avant qu’il ne soit interné lui aussi, il a produit ceci :
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Charles Xavier est il vraiment fiable ? Est-ce vrai qu’il aime les étudiantes en La mineur ?
Alex Nikolavitch répondra à ces questions Xstentielles pour son dernier défi de l’année pour Bruce Lit.
La BO du jour
Sur une chanson de Gainsbourg.
Vous lui devez d’être tous en vie Ondes Plates et voilà comment vous le remercier 😀
Est-ce qu’il n’y a pas également un rapport au temps propre aux comics?
Autant les diverses génération de X-Men (et surtout la première) ont évolué avec le lectorat de leur temps, quitte à en introduire de nouvelles, mais le professeur X est demeuré, me semble-t-il, un homme dans la force de l’âge?
Par ailleurs, est-ce que la question du rapport à l’autre pour les télépathes est posée?
Quand l’importance des pouvoirs de l’Esprit est redoublée par ses limites physiques, qu’en est-il?
Le temps et sa gestion compliquée jouent forcément. C’est pour contourner ça qu’on essaie régulièrement de tuer ce genre de persos. C’est presque une regle narrative de base : le mentor doit s’effacer pour laisser la place aux héros. Mais le caractère feuilletonnant des comics complique singulièrement la chose
Quant au rapport à l’autre, c’est intéressant de voir que chez Xavier, il y a de la bienveillance face aux côtés obscurs des esprits, alors que chez Emma Frost, ça la conforte dans son mépris
Voir aussi sur le sujet le fabuleux roman l’oreille interne, de Silverberg
La réflexion mentale de Xavier au sujet de son « amour » pour Jean, lors du premier épisode des X-Men par Lee et Kirby, n’est qu’une bourde scénaristique prétexte à étoffer de potentielles intrigues futures : à l’époque, même si le rapport professeur-élève est forcément scandaleux, la différence d’âge (apparente : en fait, il peut avoir entre trente-cinq et cinquante ans, selon les codes du médium) l’est beaucoup moins. Jean a seize ans et, dans les Sixties, c’est une adulte pour tout ce qui concerne sa vie privée : seuls les codes sociaux en vigueur limitent ses choix. Les auteurs ont immédiatement rectifié le tir, mais surtout vis-à-vis du rôle de mentor de Xavier, position beaucoup plus sensible au niveau de la perception publique de son personnage et de sa crédibilité en tant que « patriarche responsable » ; l’hystérie systématique d’aujourd’hui à la moindre mention d’une romance inter-générationnelle n’étant pas encore en vogue à ce moment-là et, donc, pas autant problématique… Par exemple, je crois me rappeler que Priscillia avait dans les quatorze ans, quand elle a épousé le King, il me semble ? À peu de choses près l’âge supposé de certaine personne haut-placée lors de la perte (?!) de sa virginité dans les grands bras de son prof (marié) d’histoire-géo ARF ! Comme quoi, le scandale est tout relatif, selon le milieu où on évolue.
Pour en revenir à Xavier, l’homme possède une nature plutôt dominante, trait de caractère peut-être inné mais sans aucun doute renforcé par un pouvoir mutant aussi transgressif pour la morale de nos sociétés qu’il est imparable au sein des pages du Comic-Book. Et, plus ou moins habilement (on ne va pas s’étendre…), les auteurs successifs joueront de son côté « j’exige ! » à des degrés divers : ça ira du vieux prof casse-bombons dépassé par la réalité des évènements (la dispute avec Scott au sujet de la direction de l’équipe) à l’ordure manipulatrice plein d’excuses toutes prêtes pour se dédouaner (Gabrielle Haller, surtout…) Et que dire de la création des nouveaux X-Men, sans même avoir recours à ses pouvoirs : ils les a tous eu en les entortillant à coups de belles phrases !! Ouh ! Le pas beau !
C’est tout une question d’abus de pouvoir, bien au delà de la sexualisation de la chose, presque anecdotique quand -évidemment !- la relation n’implique pas un enfant. M’est avis qu’il y a dans cette perpétuation du malentendu un constat assez flagrant du pernicieux avec lequel nos sociétés imposent leurs codes de conduites, sans tenir aucun compte de réalités beaucoup plus concrètes comme le cadre culturel, l’identité et la biologie.