Yossel par Joe Kubert
1ère publication le 28/03/14 – MAJ le 24/01/20
Un article de BRUCE LIT
VO : DC, Ibooks
VF : Delcourt
YOSSEL est un roman graphique de Joe Kubert tout en crayonnés. La VF publié par Delcourt est hélas épuisée.
Légende du comic book, Joe Kubert effectue avec Yossel une véritable catharsis. Issu d’une famille juive polonaise, la famille Kubert a pu émigrer aux Etats Unis 10 ans avant la deuxième guerre mondiale. Pendant le conflit, il arriva que la famille recueillit les témoignages de famille et amis ayant réussit à fuir.
Au soir de sa vie Kubert a eu envie de rendre hommage aux victimes de la Shoah par un projet original : mettre en scène un Et Si où le visa américain des Kubert aurait été refusé et où sa famille aurait été obligée de vivre dans le ghetto de Varsovie . Kubert s’incarne en Yossel, un adolescent de 15 ans féru de Comic Books qui trouve dans le dessin un échappatoire aux crimes contre l’humanité dont il est témoin quotidiennement . Dans Fax de Sarajevo , un personnage survivait à une attaque de snipers grâce à un blindage constitué de Comics. Ici Yossel obtient un sursis de la milice allemande grâce à son talent. Les nazis voient dans les personnages dessinés par Yossel l’incarnation du surhomme Aryen.
Amusés, ils lui délivrent un sauf conduit et quelques vivres. Ce privilège est bien dérisoire car cela n’empêche pas sa famille d’être déportée. Yossel rejoint alors la résistance juive qui va s’élever contre les allemands lors de l’insurrection de Varsovie . Entre temps , Kubert intègre à son récit l’histoire d’un rescapé d’Auschwitz qui , ne sachant où aller retourne dans le ghetto .
Kubert est documenté et sa fiction est au service du réalisme. Ses personnages sont imaginaires, les événements non . Il ne s’agit pas de mettre en scène un spectacle défoulatoire un peu idiot façon Inglorious Basterds ou une fable embarrassante comme La vie est belle. Kubert a choisi de publier ses crayonnées sans aucune finition ou couleurs Cela lui permet de coller à l’urgence de la situation des insurgés . Yossel dessine dès qu’il le peut avec ce qu’il a sous la main .La mise en page n’est donc pas conventionnelle puisque la plupart du temps trois ou quatre dessins cohabitent avec le texte de Kubert . Le talent de l’artiste est que ses planches restent tout de même très expressives et travaillées .
Outre le destin d’une poignée d’hommes qui choisissent de ne pas mourir comme des moutons à l’abattoir , Kubert propose un vrai récit entre la terrible réalité et l’évasion que l’art permet. Il intègre cet élément assez habilement dans son scénario et ne donne à son personnage ni de beau rôle, ni d’échappatoire. Terrible ironie où la bande dessinée réussit à unifier dans un même lieu victimes et bourreaux . La fin, irrémédiable est cousue de fil blanc pour nos amis. Un projet émouvant et très personnel, une fiction basée sur un cauchemar réel admirablement écrit et dessiné .
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@¨Présence : je ne me rappelle plus si tu l’avais lu ?
Oui, je l’avais lu, et je t’avais même rendu hommage dans mon commentaire.
[…] Un auteur de comics se lançant dans un récit de fiction mettant en scène une partie de l’Holocauste prend un vrai risque. Il s’agit d’un sujet qui ne souffre pas la médiocrité, or Joe Kubert n’est pas renommé pour la l’intelligence pénétrante des récits qu’il a réalisé tout seul, ou même avec un scénariste chevronné. Il explique dans l’introduction qu’il a eu l’idée de cette histoire en se demandant ce qui se serait passé si ses parents n’avaient pas pu émigrer aux États-Unis en 1926. À partir de ce point de départ qui ressemble à une fausse bonne idée (comme un jeu d’enfant « et si… »), Kubert met en scène un jeune garçon (de 2 ou 3 ans moins âgé que lui à la même époque) avec un don pour dessiner (comme lui, Joe Kubert). Au premier regard, la forme du récit provoque également un moment de recul. D’un point de vue esthétique, Kubert a choisi de laisser ses dessins sans encrage, pas fini d’une certaine manière. Globalement le niveau de détail est satisfaisant, mais avec quelques images qui ressemblent quand même à des esquisses. En feuilletant rapidement l’ouvrage, le lecteur constate également que Kubert a opté pour des pavés de texte assez écrit, accolés à quelques images, 2 ou 3 par pages. C’est à dire qu’il ne s’agit pas d’une bande dessinée traditionnelle, avec des séquences d’action décomposées en cases. Enfin en lisant quelques pages, le lecteur constate que Kubert a choisi une approche un peu romancée, un peu éloignée des simples faits. Et pourtant…
Et pourtant le lecteur commence calmement l’histoire, sa curiosité éveillée. Il découvre la situation de Yossel dans les égouts, et son don pour le dessin. Puis il passe à ses souvenirs à Yzeran, ce qui maintient la curiosité du lecteur. Malgré ce texte un peu romancé, l’intérêt subsiste : il comprend une part d’ingénuité, tout à fait légitime dans la mesure où l’histoire est racontée par un jeune adolescent. C’est cette même ingénuité qui rend l’histoire supportable car l’espoir subsiste. C’est toujours cette même ingénuité qui fait accepter le concept que les illustrations sont celles qui auraient pu être celles réalisées par Yossel lui-même. Or Kubert s’avère assez adroit pour que le texte et les images soient en phase et rendent plausibles l’existence de Yossel, et la véracité de ses souvenirs. Tout d’un coup, le lecteur est dans la peau de Yossel, et là l’indifférence n’est plus possible parce que lorsqu’un officier allemand déclare au père de Yossel qu’il n’y a pas lieu d’être inquiet et que c’est pour leur propre bien, le lecteur sait ce que dissimulent ces propos. En outre l’apparence un peu lâche des dessins permet au lecteur de projeter cette anticipation de ce qui va arriver, dans la mesure où ils ne figent pas les individus et la situation comme le feraient une photographie. Imperceptiblement, la situation de Yossel devient celle du lecteur. La même alchimie opère lors du récit du sonderkommando qui a réussit à s’échapper du camp de concentration.
Par ces caractéristiques, Yossel 19 Avril 1943 constitue déjà l’équivalent d’un bon roman capable de vous transporter dans l’environnement et la situation du personnage principal, sans que Kubert ne se repose sur des scènes chocs ou la description d’horreur pour provoquer la pitié. Mais petit à petit, cette histoire agit à plusieurs autres niveaux. Pour commencer, le point de départ et le don de Yossel en font le double de fiction de Joe Kubert. Au travers de son personnage, Kubert évoque ce don qui est celui de dessiner, et d’une manière plus générale, le don de créer. Il n’expose pas ses convictions religieuses, par contre il devient évident qu’il expose sa conviction que le don de créer constitue quelque chose de merveilleux dont tout le monde ne dispose pas et qu’il s’estime très heureux de l’avoir. Ce thème revient à plusieurs reprises dans le récit. La mise en abyme que constitue Kubert en train de raconter l’histoire au travers des images dessinées par Yossel signifie qu’au travers du personnage, c’est bien Kubert qui livre son point de vue sur ces faits historiques. S’il apparaît rapidement que Kubert s’est documenté de manière à ne pas raconter de bêtise, le récit ne se transforme pas en leçon d’Histoire, il reste un récit romanesque historiquement plausible, sans être superficiel. Le travail de recherche de Kubert se remarque par l’absence d’incohérence historique, et par certains dessins qui rappellent des photographies d’époque. Le point de vue de Kubert apparaît dans les jugements de valeur de Yossel et du rescapé du camp de concentration. Le lecteur a la surprise de découvrir un point de vue pragmatique, avec une approche psychologique dénuée d’infantilisme. Il n’y a pas de sentiments exaltés, ou de noblesse d’âme trop pure pour être réaliste. Il y a bien une motivation de survie un peu simpliste, mais dans les rationalisations du survivant le lecteur ressent les horreurs vues et commises et une forme honnête d’expression de la volonté de vivre. À nouveau, en ne s’appesantissant pas sur les détails, les dessins transcrivent les caractéristiques principales de chaque situation avec une intensité encore plus vive. À nouveau, les descriptions donnent envie de vérifier par soi même la réalité historique de ce qui est décrit pour se faire une idée par soi-même.
Alors que la nature du projet et les travaux passés de l’auteur pouvaient faire craindre une histoire simpliste et jouant sur la pitié, Joe Kubert réalise une histoire très personnelle, intelligente, adulte et débarrassée de tout manichéisme. Grâce au commentaire de Bruce Tringale (un grand merci), j’ai pu dépasser mes a priori négatifs pour découvrir un auteur intelligent mariant le fond et la forme pour un résultat qui accomplit son devoir de mémoire, qui emmène le lecteur dans des zones inconfortables, et qui l’oblige à penser par lui-même.
@Présence : je crois découvrir ce commentaire dont j’avais oublié / j’apprends l’existence ! Dommage, on aurait pu faire un beau teamup !
@Manu : avouer ses limites concernant ce crime contre l’humanité, c’est en faire preuve. Ça me va !
Internet n’oublie jamais rien. 🙂 Document d’archive : ta réaction de l’époque (2013).
Bruce Tringale – Merci pour la dédicace . C’est trop d’honneur pour moi d’inspirer un connaisseur comme toi , surtout après ce WE pourri sur Amazon ! Est ce que tu te sens prêt pour Maus ?
« Joe Kubert n’est pas renommé pour la l’intelligence pénétrante des récits qu’il a réalisé tout seul, ou même avec un scénariste chevronné. » Je ne connais pas suffisamment son oeuvre …Mais il me semble que le souvenir de Fax de Sarajevo avait aussi de la gueule !
Depuis je n’ai toujours pas lu Maus mais il est dans ma pile de lecture.
Il aura donc fallu près de neuf ans pour que tu sois prêt pour Maus 🙂
Je dirais même plus : il a fallu 9 ans de plus. LMaus était déjà présenté comme une référence, un sommet, dès l’obtention de son prix Pulitzer.
Avec le recul, quand je me suis enfin lancé, j’avais dû lire autant de pages de critiques sur l’œuvre qu’elle ne compte de pages de BD. 😀
Merci.
Je suis toujours très mal à l’aise quand je lis des BD tirés d’histoires fictives ou réelles se passant dans un contexte ayant réellement existé. On découvre le mal qui est tapis dans l’être humain et ca me fait toujours frémir. Mais quand je tombe sur des histoires liées aux atrocités que les juifs ont subi……. Non là, c’est au-dessus de mes forces.
Très bel exercice de l’artiste cela dit
J’ai la chance d’avoir encore cette bd chez moi. Vous me donnez envie de la relire, même si comme Manu j’évite ce genre de traumas… en tout cas, les deux articles (celui de Bruce et celui de Présence) sont fantastiques !